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Thème du mois : La politique de lutte contre le VIH et les drogues de la Russie est dévoyée et ignorante
Personnes consommatrices de drogues

Thème du mois : La politique de lutte contre le VIH et les drogues de la Russie est dévoyée et ignorante

En 2016, les nouveaux diagnostics de VIH ont atteint un nouveau record en Europe. Le Bureau régional de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour l'Europe fait état de chiffres alarmants et d'une épidémie en progression. 80% des nouveaux cas ont lieu dans les pays de l'Europe de l'Est. C'est le nombre le plus élevé jamais diagnostiqué en Europe en une année.

Russia. (Photo: Mariano Mantel/flickr, CC BY-NC 2.0)

Cette tendance doit être enrayée, sans quoi, la fin du sida d'ici à 2030 ne sera pas atteignable, déclarait Zsuzsanna Jakob, Directrice de l'OMS pour le Bureau régional en Europe, en commentant le rapport. (Europe's HIV problem is growing at an alarming pace. World Economic Forum 2017)

Depuis des années déjà, beaucoup d'experts et d'expertes alertent sur les répercussions de l'augmentation drastique des nouvelles infections par le VIH en Europe de l'Est et en Asie centrale. Dans ces régions, la hausse a lieu à l’inverse de la tendance mondiale qui enregistre une baisse d'env. un tiers de nouvelles infections. Selon le rapport de l'ONUSIDA de 2015, 67% de toutes les personnes de cette région vivant avec le VIH connaissent leur statut, 21% sont en traitement et 19% ont une charge virale au-dessous du seuil de détection – c'est donc loin de l'objectif global de 90-90-90 à l'horizon 2020. (AIDS in Eastern Europe and central Asia: time to face the facts. Lancet 2016)

 

C'est en Russie notamment que l'épidémie se répand rapidement. Le pays a le taux d'infection par le VIH le plus élevé en Europe. Entre-temps, la propagation connaît une vraie envolée. En 2016, on estime que 275 nouveaux cas étaient diagnostiqués chaque jour – plus de 103 000 nouvelles infections en tout – les chiffres réels étant nettement encore plus élevés selon les experts et les expertes.

Il n'empêche que le VIH est un sujet tabou en Russie. Bien qu'entre-temps, l'épidémie a atteint la classe moyenne, la classe politique ne réagit que mollement et presque rien n'est entrepris pour éduquer la population russe aux dangers du VIH. Les hommes politiques conservateurs déclarent que le sida n'est qu'une invention de l'Ouest faisant partie d'«une guerre de l'information» menée par l'«Ouest» contre la Russie. (Aide allemande contre le sida: politique russe de lutte contre le VIH: Immunisée contre la raison? 2017)

 

Groupes de population mis au ban de la société

Cette attitude est fatale pour les nommés groupes clés parmi lesquels se concentre principalement l'épidémie. Les homosexuels (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes – HSH), les travailleurs du sexe, les consommateurs de drogue font partie des groupes de population les plus fréquemment mis au ban de la société et persécutés en Russie, et ne disposent d'aucun accès ou d'un accès insuffisant aux possibilités adéquates de prévention et de traitement du VIH.

Les homosexuels: la violence et les violations des droits de l'homme envers les homosexuels sont omniprésentes. En règle générale, la police n'entreprend rien pour protéger ces personnes – personne n'est poursuivi pénalement. Bien qu'en 1993 une loi qui provenait encore de l'ère stalinienne et qui condamnait les homosexuels à 5 ans de prison, a été abrogée, le gouvernement russe promulgua en 2013 à nouveau une ordonnance discriminante pour les homosexuels: depuis 2013, une personne qui s'exprime positivement sur l'homosexualité en présence de mineurs est sanctionnée. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Russie en 2017 à cause de ses lois homophobes. L'interdiction de «Propagande pour l'homosexualité» viole, selon les juges de Strasbourg, la liberté d'opinion et le principe de non-discrimination.» (NZZ: Strasbourg condamne l'homophobie de Moscou, 2017)

Les travailleurs et les travailleuses du sexe: ils font partie aussi, dans la Russie d'aujourd'hui, d'un groupe de personnes proscrit. L'utilisation de préservatifs est la mesure de prévention optimale recommandée aux travailleurs et aux travailleuses du sexe. Ce n'est pas le cas en Russie: non seulement les préservatifs sont confisqués, mais encore, les personnes qui en ont sur elles, sont étiquetées comme étant des prostituées et elles risquent d'être emprisonnées. C'est tout simplement une politique cynique: la police encourage le sexe non protégé et donc, la diffusion du VIH.

Les consommateurs de drogue: malgré les persécutions des homosexuels et des travailleurs et des travailleuses du sexe, il n'y a aucun doute sur le groupe le plus exposé aux répressions en Russie: ce sont les toxicomanes. Selon des estimations, parmi les personnes positives au VIH en Russie, env. 60% sont toxicomanes. Toutefois, nombreuses sont ceux qui ignorent leur statut, étant donné que les toxicomanes, par crainte de la répression et de l'inscription dans le registre des toxicomanes, ne se font pas dépister. (PLOS Medicine: The expanding epidemic of HIV-1 in the Russian Federation, 2017)

"Enough is enough – Open your mouth!", Demonstration against homophobia in Russia (Photo: Marco Fieber/flickr, CC BY-NC-ND 2.0)

 

La politique de la Russie: «zero tolerance of drug users» au lieu de «zero tolerance of drugs»

Le problème des drogues en Russie avec env. 5000 morts par mois pourrait être enrayé en mettant à disposition des aiguilles et des seringues propres et en introduisant une thérapie de substitution à la méthadone comme cela a été effectué avec succès dans de nombreux pays. Mais la classe politique russe refuse une telle thérapie de substitution sous peine de sanction et, sinon, ne propose guère d'offres pour limiter les dommages. En Russie, la toxicodépendance a valeur de faiblesse psychique et d'échec personnel et peut être traitée au mieux par le biais du sevrage ou des camps de travail. Dans le meilleur des cas, les toxicomanes sont envoyés en cure de désintoxication dans l'un des nombreux centres étatiques de désintoxication pendant trois à douze jours et, ensuite, traités pendant plusieurs mois dans une réadaptation ambulante. L'approche est largement un échec: 90% des personnes traitées de cette manière ont repris leur consommation illégale de drogues en l'espace d'une année.

Le principal problème de la politique russe de lutte contre les drogues est qu'elle se concentre sur le sevrage et qu'elle refuse des programmes adéquats de réinsertion ou de réadaptation. En conséquence, les toxicomanes utilisent des méthodes obscures, de leur plein gré ou non, comme la consultation de guérisseurs traditionnels ou l'admission dans des cliniques qui sont connues pour leurs pratiques particulièrement inhumaines et brutales: ainsi, jusqu’à récemment, les personnes étaient ligotées à leur lit, fouettées et traitées aux électrochocs dans certains établissements. Le choc subi devait faire en sorte que les personnes traitées soient «clean» pour le restant de leur vie. (New York Times: In Russia, Harsh Remedy for Addiction Gains Favor, 2011)

La critique exprimée au niveau international envers cette politique restrictive de lutte anti-drogue glisse sur la Russie: de prime abord, le ministère de la santé russe annonce qu'on se soucie de la santé des personnes concernées et qu'il renonce pour cela à traiter l'usage d'une drogue avec une autre drogue, une méthode dont, au demeurant, les succès ne sont pas prouvés scientifiquement.

Cet argument est réfuté notamment par toutes les institutions médicales, Organisation mondiale de la Santé (OMS) et ONUSIDA incluses car la prise quotidienne d'une pilule de méthadone a pour résultat que les personnes concernées sont à nouveau en mesure de retourner au travail et de mener une vie largement normale. Elles et leur famille profitent de la substitution à plusieurs égards: le seul fait qu'elles ne s'injectent plus de drogues et donc, qu'elles échappent à une contamination par le VIH, est déjà une victoire en soi. La méthadone est évidemment une drogue mais elle a une action complètement différente de l'héroïne par exemple. Elle est dégradée plus lentement dans le corps et prévient l'envie d'héroïne. Ainsi se brise le cercle vicieux de la recherche illégale incessante d'héroïne et le fait d'être en situation financière précaire.

"Enough is enough – Open your mouth!", Demonstration against homophobia in Russia (Photo: Marco Fieber/flickr, CC BY-NC-ND 2.0)

 

Une situation insoutenable même dans les prisons

Mais ce n'est pas seulement le refus de traitement qui donne du fil à retordre, mais encore l'approche étatique répressive envers les consommateurs de drogues. Ainsi, être en possession de faibles quantités de drogues est déjà suffisant pour se faire arrêter par la police. Depuis lors, les prisons sont encombrées de détenus qui non pas seulement un problème de dépendance, mais aussi des problèmes de santé considérables: nombre de détenus souffrent simultanément du VIH, de l'hépatite C et de la tuberculose qui sont des affections graves et ils n'obtiennent pas le traitement adéquat – beaucoup paient alors de leur vie.

Michel Kazatchkine également, l'ancien Directeur du Fonds mondial et actuel délégué en matière de drogues de l'ONUSIDA, critique la politique russe anti-drogue comme étant la mauvaise direction. Il est évident qu'elle a échoué. Toutefois, la politique russe y reste attachée avec véhémence.

 

Une société civile mise à genoux

Les activistes et les organisations non gouvernementales (ONG), comme la «Fondation Andrey Rylkov» qui luttent contre la propagation du VIH et pour une politique plus humaine en matière de drogues, se voient de plus en plus exposés à des brimades, ce qui fait barrage à leur travail qui consiste p.ex. à distribuer des préservatifs ou des seringues propres. Désapprouvées par l'État russe, les ONG qui reçoivent leurs fonds de l'étranger ont été déclarées, sans autre forme de procès, «agents étrangers», comme le rapporte Alexander Delfinov, journaliste, activiste russe et ancien collaborateur de la «Fondation Andrey Rylkov» lors d'une interview avec l'«Alliance contre le sida». Pour lui, il est clair que le système russe n'a pas besoin des groupes marginaux de la société, comme les consommateurs et les consommatrices de drogue, et «que l'on est content au fond quand ces personnes disparaissent». (Alliance contre le sida: dangereuse et dédaigneuse– La politique russe anti-drogue répressive, 2017)

Help stop drugs STOP! (Photo: Rebcenter Moscow/flickr, CC BY-ND 2.0)

Malgré les avertissements, la tête baissée en plein dans la catastrophe?

Le système russe de santé a adopté en 2016 un nouveau document de stratégie de lutte contre le VIH et la Russie a également participé à la «réunion de haut niveau des NU à New York sur la fin du sida» en juin 2016. Ceci a laissé espérer que cela constituait davantage que des signes de bonne volonté. Le directeur du centre russe du sida, Vadim Pokrovsky, reste néanmoins sceptique et continue à voir de l'indifférence politique vis-à-vis des groupes particulièrement vulnérables. En outre, il déplore les efforts financiers trop faibles investis dans la lutte contre le VIH/ sida. Le budget ne suffit pas à financer la thérapie antirétroviralela encore très chère pour tous les patients nécessiteux. À cela s'ajoutent des coupes de bailleurs de fonds internationaux comme le Fonds mondial. Trois patients sur quatre n'obtiennent potentiellement aucun traitement ou un traitement inadéquat. Cela signifie que seulement 25% des personnes infectées en Russie sont traitées, ce chiffre doit atteindre 60% à l'horizon 2020. Pourtant, l'objectif de l'ONUSIDA consiste à ce que d'ici à 2020, 90% des personnes infectées soient en traitement.

Le problème du VIH et des drogues en Russie est complexe et difficile à analyser. Une politique qui méprise les droits de l'homme, des données non transparentes, louches et la proximité géographique avec l'un des plus grands axes commercial mondial de l'héroïne et des drogues avec de faibles contrôles aux frontières, aggravent la situation préoccupante. Il y a suffisamment d'éléments qui indiquent que l'épidémie russe de VIH et de drogue se déroule de manière incontrôlée et empire. Un pays au revenu moyen comme la Russie devrait et doit, de loin, faire plus d'efforts pour empêcher cela et protéger ses citoyens.

Martina Staenke
Colaboratrice Communication Medicus Mundi Suisse
mstaenke@medicusmundi.ch


Références

  • AIDS in Eastern Europe and central Asia: time to face the facts. Lancet 2016. Zitiert nach: Quelle: UNAIDS. Prevention gap report. Juli 11, 2016. Geneva: Joint United Nations Programme on HI/AIDS, 2016 http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)32421-7/fulltext
  • Aktionsbündnis gegen Aids: Gefährlich und menschenverachtend – Russlands repressive Drogenpolitik. Interview mit Alexander Delfinov, geführt von Axel Schock 2017. http://www.aids-kampagne.de/aktuelles/2017-12-13-gefaehrlich-und-menschenverachtend-russlands-repressive-drogenpolitik
  • Avert: HIV and AIDS in Russia, 2017 https://www.avert.org/professionals/hiv-around-world/eastern-europe-central-asia/russia
  • Brot für die Welt: Blog-Beitrag von Astrid Berner-Rodoreda: Ein Ende von Aids kommt nicht von allein. Zusammenfassung der Tagung vom 28. November 2017 in Berlin. https://info.brot-fuer-die-welt.de/blog/ein-ende-aids-kommt-nicht-allein
  • Clark F.: Gaps remain in russia’s response to HIV/AIDS. Lancet 2016; 388: 857-58. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)31480-5/fulltext?code=lancet-site
  • Deutsche AIDS-Hilfe. magazin.hiv: Russische HIV-Politik: Immun gegen Vernunft? https://magazin.hiv/2017/10/17/russische-hiv-politik/
  • Europe's HIV problem is growing at an alarming pace. World Economic Forum 2017. https://www.weforum.org/agenda/2017/12/europes-hiv-epidemic-is-growing-at-alarming-rate?utm_content=buffer25f54&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer
  • The Guardian: How homophobia feeds Russia’s HIV epidemic. 2017. https://www.theguardian.com/society/2017/dec/03/homophobia-feeds-russia-hiv-epidemic
  • Neue Zürcher Zeitung (NZZ): Strassburg verurteilt Moskaus Homophobie. Juni 2017. https://www.nzz.ch/international/europaeischer-gerichtshof-fuer-menschenrechte-moskau-wegen-anti-homosexuellen-gesetzen-verurteilt-ld.1301880
  • New York Times: In Russia, Harsh Remedy for Addiction Gains Favor. September 2011. http://www.nytimes.com/2011/09/03/world/europe/03russia.html
  • Norman Fowler: AIDS – Don’t Die of Prejudice. London 2014
  • PLOS Medicine: The expanding epidemic of HIV-1 in the Russian Federation. November 2017. http://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1002462
  • UNAIDS. Prevention gap report. July 11, 2016. Geneva: Joint Untited Nations Programme on HIV/AIDS, 2016. http://www.unaids.org/en/resources/documents/2016/prevention-gap